L’avenir de la défense en Europe et de l’Europe, selon le général Brieger

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Beitragsfoto: Europaflaggen in Brüssel | © Pixabay
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Le 7 février 2023, à l’École royale militaire de Bruxelles, le Président du Comité militaire de l’Union européenne (UE), le général Robert Brieger, a donné, devant les plus hautes autorités militaires belges et un public nombreux et international, une conférence sur “L’avenir de la défense en Europe et de l’Europe”.[1]

Le général Brieger nous a rappelé que la meilleure façon de prédire l’avenir est de le créer et que nous devons être assez proches des réalités futures pour pouvoir nous adapter à des défis imprévus.

Il a ensuite esquissé les défis auxquels l’Europe est ou sera potentiellement confrontée, en partant du scénario de sécurité actuel, puis il a abordé les implications militaires de ces défis. Sur la base de ces considérations, il a exposé comment l’Europe et les États membres de l’UE en particulier doivent y répondre, en jouant un rôle clé dans les efforts qui façonneront notre avenir. Il a essayé de démontrer comment l’Union européenne peut changer la donne dans le scénario global de la sécurité, à condition que tous ses États membres soutiennent un projet de défense commune.

La situation actuelle

La guerre éclair déclenchée par Moscou il y a presque un an s’est rapidement transformée en une guerre d’usure, grâce à la résilience ukrainienne et au soutien occidental. Au-delà de la mort et de la destruction qu’elle a semées en Ukraine, cette guerre a de multiples conséquences et notamment une hausse des prix des produits de base et une pénurie d’autres produits, à cause de la menace sur la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Europe qu’elle a entraînée.

Contrairement aux prédictions, les États membres de l’UE sont restés unis dans leur soutien à l’Ukraine, y compris en ce qui concerne les livraisons d’armes létales. Celles-ci ont été financées notamment par la Facilité européenne de paix récemment créée.

L’UE reste confrontée à diverses crises, au Sahel et dans d’autres zones géographiques où l’on constate notamment de la migration incontrôlée, de la propagation de l’extrémisme et du terrorisme qui y est associé. Nous souffrons aussi de la désinformation, des attaques hybrides et des cyberattaques. L’espace est une nouvelle zone d’affrontements. Des puissances remettent en question l’ordre mondial fondé sur des règles et l’architecture de sécurité existante, en Europe et ailleurs. Les conséquences économiques et sociales de la pandémie se font toujours sentir.

À quoi pouvons-nous raisonnablement nous attendre ?

La multipolarité va se renforcer, car la compétition pour le pouvoir conduira à une fragmentation supplémentaire de l’ordre mondial. La désinformation et la mésinformation vont s’accroître, de même que l’hybridation de la guerre. Les puissances vont de plus en plus utiliser les guerres par procuration pour projeter leur pouvoir et défendre leurs intérêts. Les pays du Sud verront dans le désordre international une occasion de s’affirmer sur la scène mondiale. La course aux armements et la prolifération nucléaire redeviendront la norme. La concurrence pour le contrôle des espaces stratégiques sur terre, dans l’air et l’espace et sur mer va s’intensifier.

Le contrôle des chaînes d’approvisionnement, la sécurité énergétique et la réduction des dépendances deviendront des priorités stratégiques. La course à la suprématie technologique va s’accélérer, notamment dans le domaine des semi-conducteurs, devenus indispensables. Enfin, et surtout, notre lutte insuffisante contre les effets du changement climatique entraînera probablement une augmentation des troubles et des flux migratoires, surtout dans les pays du Sud, qui n’arrivent déjà pas à suivre le progrès technologique, notamment dans le numérique.

Quelles sont les implications militaires ?

Une UE responsable devrait prévenir les conséquences directes ou indirectes que ces évolutions pourraient avoir sur nous. Pour cela, elle devrait posséder tous les outils militaires nécessaires à une gestion efficace des crises, dans le spectre le plus large, pour renforcer la paix, pour préparer le cadre de sécurité à d’autres outils d’intervention ou en cas de catastrophes naturelles, pour soutenir les autorités civiles avec des capacités à double usage.

L’outil militaire européen devra être capable de projeter une supériorité opérationnelle à l’appui des objectifs et intérêts de l’UE, seul ou avec des partenaires si possible. Cela implique la capacité d’évaluer la situation, de décider et d’agir en conséquence, aussi longtemps que nécessaire.

L’outil militaire sera de plus en plus pertinent pour lutter contre les cyber-attaques ou pour protéger les lignes de communication maritimes, par où passent la plupart des échanges commerciaux qui constituent nos chaînes d’approvisionnement. Il sera de plus en plus intégré dans l’approche multidimensionnelle de la gestion des crises, car si aucune crise ne peut être résolue par des moyens purement militaires, aucune crise ne peut être abordée sans envisager l’utilisation adéquate d’instruments militaires.

La puissance nécessaire à la mise en œuvre de l’approche intégrée de l’UE se calcule par le produit des différents outils, économiques, diplomatiques, politiques et militaires et non par leur somme, de sorte que si un seul facteur est égal à zéro, le résultat global sera nul… Il est donc nécessaire d’envisager les implications militaires de chaque défi dès le stade le plus précoce de la prospective et de la planification stratégiques. L’armée européenne est un outil nécessaire.

Comment l’Europe se prépare-t-elle ?

Ce qui pourrait nous sauver, c’est la Défense commune européenne. En 2016, l’UE a adopté la stratégie globale, avec l’ambition de devenir un fournisseur de sécurité crédible sur la scène mondiale. En 2022, la Boussole stratégique nous a donné une vision de l’avenir qui nous met dans de meilleures conditions pour nous adapter aux défis imprévus. Elle affirme clairement que nous ne pouvons pas continuer à compter sur les autres pour préserver nos propres intérêts, que nous devons apprendre et utiliser le langage de la force, y compris la coercition, le « hard power » et que l’UE doit devenir un pilier européen de l’OTAN plus fort, plus autonome et plus fiable.

L’heure est venue pour les États membres et les institutions de l’UE de tenir leurs promesses. C’est pourquoi le premier pilier de la Boussole stratégique est appelé « Agir », les autres sont « Sécuriser », « Investir » et « Coopérer ».

Agir

Si l’UE veut être un fournisseur de sécurité crédible, elle doit être capable d’agir si elle est appelée à le faire ! La capacité de déploiement rapide comprendra jusqu’à 5.000 soldats, prêts à opérer rapidement, d’ici la fin de 2025, avec toutes les capacités stratégiques, pour différents types de crises. Ce véritable fer de lance et outil de transformation renforcera notre crédibilité, jusqu’à présent dans les délais prévus.

Sécuriser

Le deuxième pilier de la Boussole stratégique renforcera notre capacité à anticiper, à dissuader et à répondre aux menaces et aux défis qui apparaissent rapidement, avec la résilience nécessaire. Dans le cyberespace, nous aurons une boîte à outils hybrides et des équipes de réaction rapide. Dans l’espace extra-atmosphérique, nous protégerons les ressources spatiales de l’UE. Dans le domaine maritime, nous renforcerons notre présence dans les zones d’importance stratégique.

Investir

L’UE va aider les États membres à investir dans la nouvelle génération des systèmes de combat terrestre, aérien et naval, ainsi que dans les capacités spatiales. Compte tenu de la persistance de la fragmentation des capacités de défense de l’UE, la Boussole stratégique insiste sur le fait que dépenser mieux et ensemble n’est pas seulement intelligent, c’est une nécessité ! À l’heure actuelle, seuls 8 % des achats d’équipements de défense sont consacrés à des projets communs. Les États membres et les industries de l’UE doivent faire un pas de côté, individuellement, pour que nous puissions aller de l’avant, ensemble. La convergence plus synchronisée de la planification de la défense nationale entre les États membres est réalisable, si les politiciens acceptent que les politiques convergent ! L’UE dispose de mécanismes pratiques pour le développement des capacités en collaboration, notamment des incitations financières couvrant la recherche et l’innovation. Lors de la première réunion annuelle des ministres de la défense sur les capacités, organisée à la fin de 2022, cela a été rappelé. Des décisions importantes y ont été prises, telles que la création d’une Task Force pour consolider les besoins les plus urgents et préparer le terrain pour des acquisitions conjointes ; la mise en place d’un fonds pour soutenir l’acquisition conjointe de capacités militaires auprès des industries de défense de l’UE et enfin la mise en place d’un Hub pour l’innovation européenne en matière de défense.

Coopérer

Personne ne peut relever seul tous les défis en matière de sécurité, pas même les États-Unis d’Amérique. Nous devons donc renforcer la coopération avec des partenaires stratégiques tels que l’OTAN, les Nations-Unies et les partenaires régionaux, notamment l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’Union africaine et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est.

Nous devons avoir une attention particulière pour les Balkans occidentaux, notre voisinage oriental et méridional, l’Afrique ou l’Indopacifique et investir dans des partenariats bilatéraux avec des pays comme les États-Unis, le Canada, la Norvège, le Royaume-Uni, le Japon. Nous avons déjà intensifié nos partenariats avec l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et la Bosnie-Herzégovine. En Afrique, la Facilité européenne pour la paix soutient les opérations de soutien de la paix de l’Union africaine, les forces armées du Mozambique et celles du Niger. Dans l’Indopacifique, nous organisons des exercices navals entre ATALANTA, l’Inde et l’Indonésie. Nous devrions faire plus, investir davantage dans les partenariats stratégiques ou déployer plus de conseillers militaires dans certains pays.

Conclusions

Les gens se battent aujourd’hui pour les mêmes raisons fondamentales que l’historien grec Thucydide a identifiées il y a près de 2.500 ans : la peur, l’honneur et l’intérêt. Surtout pour leur intérêt.

Les défis et les menaces ne sont pas nouveaux : ils prennent simplement de nouvelles formes, ou de nouvelles intensités, de manière cyclique, avec des hauts et des bas. Le plus grand risque – probablement – est que les conflits d’intérêts deviennent des conflits d’identités. Nous devons éviter cela à tout prix ! Si les conflits d’intérêts peuvent se résoudre par des compromis, les conflits d’identités ne produisent que des catastrophes.

La guerre que la Russie fait à l’Ukraine résulte de certaines de nos erreurs passées, comme l’idée que la guerre conventionnelle ou la pénurie appartiennent au passé.

Les questions qui se posent à nous est de savoir si l’UE peut modifier le scénario global de la sécurité, apporter une valeur ajoutée à la table des principaux acteurs et être reconnue comme l’un de ceux qui façonnent l’avenir. La liste des initiatives concrètes contenues dans la Boussole stratégique, déjà mises en œuvre ou en cours, parle d’elle-même. Ce sont des faits, pas des mots, ni de simples promesses.

Le général Brieger a alors lancé un avertissement. Pour réussir réellement, pour faire de la défense européenne commune une réalité concrète, nous aurons besoin d’un leadership déterminé et avisé, dans tous les États membres et au sein des institutions européennes. Il est dans la nature humaine de préférer réagir aux crises plutôt que de les prévenir de manière proactive. L’UE et ses États membres ne sont pas différents à cet égard. Leur élan pour construire un cadre de sécurité et de défense crédible n’a pris de l’ampleur qu’à la suite de crises internationales et régionales majeures. La menace d’un éventuel désengagement, sur notre continent, d’un partenaire de sécurité majeur, à savoir les États-Unis d’Amérique, a également joué un rôle important. Que se passera-t-il en cas de crise majeure ?

C’est pourquoi il est impératif de nous préparer à nous défendre. Cela nécessite un leadership engagé, audacieux, responsable, visionnaire mais pragmatique dans nos États membres. L’UE joue le rôle de facilitateur, elle fournit les outils nécessaires à la coopération et toutes les incitations financières possibles, mais le projet de défense commune doit résulter d’une culture de défense européenne commune, où nous parlerons enfin d’une seule voix, comme une équipe. Isolés, nous mourrons.

Le général Brieger a ensuite répondu à une douzaine de questions portant sur le renoncement par les États membres à un peu de leur souveraineté, sur l’autonomie stratégique de l’UE, sur l’industrie de défense, l’armée européenne, etc. Voici ce que j’ai retenu du débat.

Les États membres ont déjà cédé une partie de leur souveraineté à l’UE, la suprématie du droit européen sur le droit national le montre. L’UE prend beaucoup d’initiatives pour mieux coordonner les efforts de défense des États membres, mais les spécifications techniques nationales sont différentes. Elles nuisent à notre efficacité militaire et à l’industrie de défense. Il faut encourager les procédures communes, les normes communes. Un même véhicule de combat pour l’infanterie produit dans plusieurs pays, voilà l’avenir. La guerre en Ukraine nous montre l’ampleur du besoin en approvisionnements militaire. Tous les industriels auront du travail.

L’abandon d’une partie supplémentaire de la souveraineté par les États membres de l’UE serait bénéfique à long terme. Renforcer le pilier européen de l’OTAN permettra à l’UE de parler le langage de la puissance, pour mieux défendre nos intérêts. L’UE doit encore progresser pour être un partenaire stratégique fiable au sein de l’Alliance, car nos capacités militaires sont très inférieures à celles des États-Unis d’Amérique. C’est pourquoi l’OTAN est le chef de file et non l’UE. Celle-ci a besoin de développer une culture de défense européenne. Les États membres ont des perceptions différentes des menaces.

L’UE et ses États membres prennent mieux que par le passé le facteur militaire en considération, bien que les États membres aient des perceptions différentes, ce qui nécessite la recherche permanente de consensus. Les États membres contribuent à l’effort commun en fonction de leurs moyens, mais aussi de leur situation particulière. Si Poutine connaissait un succès en Ukraine, le rôle de l’Europe centrale et orientale deviendrait crucial. Ceci n’empêche pas que l’Europe doit continuer à soutenir ses partenaires en Afrique, pour combattre le terrorisme et pour contenir l’influence de certaines milices privées.

Le chantage russe aux armes nucléaires fait partie de la guerre hybride et de la désinformation. L’UE doit encore améliorer sa communication à cet égard. Ce chantage n’est que de la rhétorique agressive. La guerre de haute intensité en Ukraine a montré le besoin de repenser notre défense et a suscité la motivation nécessaire pour effectuer cet effort. Mettons cette opportunité à profit en tenant compte du fait que la défense reste une compétence des États membres. Si l’UE change de cadre institutionnel, les choses seront différentes.


[1] Voir https://www.seurod.eu/videos_audios.html.

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